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Bring the Noise!

Le Salon du livre vient de fermer ses portes, on en a rapporté une superbe bannière « Sauvons le livre » pour vous proposer quelques lectures :
 
Simon Reynolds est un journaliste anglais influent : il est crédité sur Wikipédia pour l’invention du terme « post-rock » et est l’auteur de livres sur l’après punk (Rip it up and start again, trad.française chez Allia 2007) dont le dernier en date a fait grand bruit puisqu’il y dénonçait le mouvement de revival général en Grande-Bretagne (Retromania : Pop Culture’s addiction to its own past, traduction française chez Le Camion blanc en 2012). Grand pourfendeur de la britpop, il avait salué Kid A et Amnesiac comme de véritables révolutions et était l’auteur d’un fameux article dans The Wire en juillet 2001 (avec RH en couverture de ce magazine des avant-gardes et des tendances). Vous pouvez retrouver cet article (et un autre tiré de Uncut un peu avant) dans l’édition française qui rassemble 25 ans de ses commentaires sur le rock et le hip-hop : Bring the Noise, qui vient de paraître Au Diable Vauvert (très bonne maison d’édition gardoise, je ne gagne rien, promis). Voilà ce que doit être un journaliste musical : là vous trouverez du contexte, une vraie connaissance du groupe, une vraie mise en perspective de la musique et des postures du groupe par rapport à leurs influences, au milieu dans lequel ils vivent, à l’ambiance musicale contemporaine. Simon Reynolds est aussi un homme de théorie qui n’a jamais hésité à prophétiser, à lancer quelques jugements tranchés et tranchants : c’est ça aussi qu’on attend d’un journaliste musical, pas qu’il nous dise ce qui le chatouille ou pas. Partant du constat saignant que le rock britannique ne produit en ces dernières années du siècle que du vide, que l’origine du marasme est la britpop qui a détourné les forces vives de la pop musique vers la dance à cause du dégoût provoqué chez un public gavé de tubes et de mélodies beatlesques, Reynolds loue dans Radiohead la capacité à être autonomes et détachés des a priori rock et des postures sociales attenantes.
Citations : « le rock a été abandonné aux plus mauvaises intentions : gloire, exhibitionnisme, désir de faire de la musique comme au bon vieux temps (les sixties, le punk, la new wave). Ou laissé aux gens qui ont quelque chose à « dire » : les machines à citation, les soi-disant poètes. Le handicap du rock britannique est qu’il n’a « que de la gueule » depuis l’ère postpunk, quand l’attitude, la capacité à se vendre et la compatibilité avec la presse musciale sont devenues plus importantes que les qualités instrumentales ou la vision ».
 
« La magnitude pure d’OK Computer – dans les sonorités, les thématiques, l’aspiration-, sorte de semi-album concept sur la technologie et l’aliénation, a remplacé l’anti-intellectualisme et l’hédonisme vain de la britpop par le glamour des lettres et de l’angoisse. »
 
Il analyse assez finement, à partir de l’interview qu’il fait de Thom Yorke puis de Jonny Greenwood, les processus de déstructuration à l’œuvre pour créer Kid A : « L’instrumentalisation du chanteur n’était qu’une facette de la déconstruction totale de Radiohead en tant que groupe de rock, fomentée par Thom Yorke . Comme l’a dit le guitariste Ed O’Brien, ils ont dû apprendre « à participer à une chanson sans jouer une seule note ». En un sens, chaque membre du groupe est devenu une figure à la Eno, un producteur/catalyseur non-musicien, abandonnant sa fonction instrumentale désignée et se colletant avec des appareils inhabituels générateurs de son comme si c’étaient des jouerts, avec un émerveillement et une joie enfantins. »
 L’interview de Thom Yorke revient longuement sur sa fascination pour Remain in Light dont il continue à se dire inspiré : la manière d’écrire de David Byrne, les boucles réellement jouées sur instruments acoustiques, la filiation est clairement assumée.
Pour Reynolds, Radiohead est un groupe postpunk qui se situe dans la lignée de PiL, y compris dans leur manière d’avoir un contrôle total sur leur communication, la globalité de leur démarche (musique, artwork, communication, marketing) : « L’autre aspect inscrit dans l’esprit de 79 est la noirceur permanente de Radiohead, une aliénation qui n’est jamais complètement personnelle, créée par une névrose individuelle. Si l’on inverse la vieille maxime postpunk, on peut la décrire en disant que « le politique est personnel ».
Pour ceux qui ne s’en souviendraient pas, Reynolds remet également en perspective l’accueil de Kid A/Amnesiac et compare la polarisation amour/haine suscitée par la voix de Thom Yorke avec la réception de Morrissey et des Smiths en 1983 : le rejet et la haine dont ont fait l’objet Kid A et Thom Yorke sont oubliés aujourd’hui, mais la réception a été très contrastée, c’est le moins qu’on puisse dire (de là dure jusqu’à aujourd’hui la différence entre la popularité de RH aux Etats-Unis et les violentes attaques en Angleterre).
Reynolds poursuit également l’analyse avec la comparaison avec Pink Floyd, eux non plus pas forcément encensés comme on a coutume de le croire, en soulignant le problème de RH en Angleterre lié avec leur appartenance à la classe moyenne : ils n’ont pas été reçus par les musiciens pop en Angleterre essentiellement parce que les tenants de la britpop cultivaient leurs origines ouvrières, pauvres, foot et anti-intellectuelles :
« Les gens se méfient de l’apprentissage, hein ? songe Greenwood. Je ne dis pas ça pour nous comparer à lui, mais il y a toutes ces histoires sur Miles Davis qui allait à la bibliothèque de Juilliard Academy pour se plonger dans des partitions classiques. Cette facette de Miles est un peu minimisée parce qu’on préfère insister sur tous les trucs borderline. Mais ça me fait juste l’aimer encore plus, l’idée qu’il cherche l’inspiration musicale partout et dans tout. » Yorke, pour sa part, s’en prend à ce qu’il appelle « la conception « bon sauvage » de la créativité « qui serait « un mythe destructeur et « un piège » pour l’artiste. »
 
Tout le chapitre est intéressant et l’ensemble du (gros) livre est éclairant. On comprend que le rattachement de Thom Yorke aujourd’hui à la dance music ne le ravisse pas car il la tient comme un facteur d’abolition des inspirations pop. Vous pouvez lire sa critique d’AMOK sur son blog : mais on comprend en lisant son article de 2001 qu’il utilise les même clés de lecture qu’alors, ce qui n’est peut-être pas si approprié : [http://reynoldsretro.blogspot.fr/->http://reynoldsretro.blogspot.fr/]
 
Toujours dans le rayon Bibliothèque, signalons la coïncidence d’un livre qui devrait plaire à Thom Yorke : Adam Christopher est un auteur de science-fiction d’origine néo-zélandaise mais basé désormais en Angleterre. Son dernier livre s’intitule The Age Atomic et constitue la suite de the Empire State dans lequel il mettait en scène deux New York dédoublées dans des temps parallèles, les deux mondes étant reliés par une fissure. La première New York est située dans les années 30 alors que la deuxième existe dans les années 50, Eisenhower est Président et un mystérieux (et très pynchonnesque) groupe terroriste appelé Atoms for Peace sévit… Ce roman est salué dans la presse anglo-saxonne comme le premier roman Atompunk ! Espérons qu’il sera distribué et traduit en France.
[http://www.goodreads.com/book/show/15799390-the-age-atomic->http://www.goodreads.com/book/show/15799390-the-age-atomic]
 
Bonne lecture (et ne vous en faites pas trop pour les livres : avec plus de 65 400 nouveautés parues en France en 2012 et plus de 450 millions d’exemplaires vendus, on n’est pas prêts de se débarrasser des livres, même si certains sont fort marris que le livre rapporte moins que le cinéma ou la musique).

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valerie

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