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4 juillet 2003, Belfort, Eurockéennes

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Les Eurockéennes sauvées par le militantisme
LE MONDE | 05.07.03 | 13h37
Plutôt que de se heurter aux deux cents intermittents travaillant pour ce grand rendez-vous du rock, le conseil général du Territoire de Belfort, présidé par le chevènementiste Christian Proust, a soutenu leur mouvement de revendication. La ferveur musicale de Radiohead a rassemblé le public. Belfort de notre envoyé spécial

Après une fin d’année scolaire et des passages d’examen souvent chaotiques, les milliers de jeunes gens qui remplissaient, le 4 juillet, gare de l’Est, les trains en partance pour Belfort ou envahissaient les campings du site de Malsaucy, allaient-ils pouvoir profiter des Eurockéennes, orgie annuelle de musique, menacée comme la plupart des festivals de l’été par la colère des professionnels du spectacle ?

Inquiétées par un appel à la grève des intermittents de Franche-Comté, les Eurockéennes de Belfort, soutenues par 95 % des deux cents intermittents travaillant pour l’événement, ont trouvé la parade en proposant de servir de plate- forme à ces revendications.

Une pleine page de publicité, prise dans le quotidien local Le Payspar le conseil général du territoire de Belfort, proclamait ouvertement les « Eurockéennes festival militant ». Le texte, signé du chevénementiste Christian Proust (président du conseil général, président fondateur des Eurockéennes), soutenait le mouvement en affirmant notamment : « Nous sommes convenus de faire cette année des Eurockéennes (…) un temps fort de la lutte qui tout l’été cherchera à convaincre le gouvernement de retrouver le chemin du dialogue et de la négociation. Le Territoire de Belfort, mobilisé au côté des »Alstom« , sait les valeurs de la résistance, du combat et des luttes sociales. »

Ces positions de principes restaient à être appliquées, en catastrophe, au coeur d’un événement accueillant, du 4 au 6 juillet, une soixantaine de groupes sur cinq scènes disposées en bordure d’étangs.

« SCHIZOPHRÉNIE »

Les choses n’allaient pas de soi. D’autant que les différentes assemblées générales avaient retardé l’installation des infrastructures, soudain compliquée par quarante-huit heures d’intempéries. Des actions étaient choisies pour se fondre dans la programmation : forums, multiples conférences de presse, parrainage d’artistes, présence d’un intermittent à chaque entretien avec la presse des responsables du festival, défilement sur écran géant des noms de tous ceux travaillant sur le site… A 21 heu-res, une assemblée d’intermittents rencontre les journalistes, souligne que, « si nous ne sommes pas des gens rentables, le mouvement et les menaces qu’il fait peser sur les festivals prouvent que nous produisons énormément de richesse économique », et constate la « schizophrénie »de ces actions partagées entre la nécessité de mettre la pression et le risque trop grand imposé à des événements culturels et aux petites compagnies qui en dépendent. Circule un texte diffusé par des intermittents travaillant au festival des Vieilles Charrues de Carhaix (Finistère), dénonçant les menaces que fait planer la CGT sur cette manifestation qui doit avoir lieu dans deux semaines. Doumé, « monteur » de scène depuis neuf ans aux Eurockéennes, explique : « On n’a pas voulu priver 90 000 gamins d’un réel plaisir. On n’a pas non plus voulu se priver de les informer. »

Dans le public, la ronde des concerts bat son plein, malgré la boue. Les enjeux sociaux ne freinent pas la consommation, ni les rites festivaliers. On mange une tartiflette devant un dazibao revendicatif, on roule des joints sous un mannequin pendu : « Laure, 22 ans, régisseur ». En place depuis trois ans, le duo de programmateurs Christian Alex et Kem a une fois de plus réussi à doser savamment recherche underground et locomotives de qualité, brassant rock, dub, reggae, hip-hop ou électronique.

« PLUS D’URGENCE »

Certains groupes, comme Mickey 3D ou Zenzile, revendiquent sur scène leur solidarité avec les intermittents. D’autres, comme les Wampas, font grincer des dents. « Je comprends l’inquiétude des techniciens, avance Didier, le chanteur de ces vétérans du rock alternatif français. Socialement, cette réforme est mauvaise. Mais j’ai l’impression que dans le rock, l’intermittence a produit beaucoup de groupes de balloche surtout soucieux de faire leurs heures. Avec moins de musiciens intermittents, le rock retrouverait sans doute plus d’urgence ».

A gauche, au-dessus de la grande scène, une banderole : « Les Eurocks avec les intermittents ». A droite, une autre : « Les Eurocks avec les »Alstom« . »Les Roots, groupe phare de Philadelphie, viennent de terminer une démonstration époustouflante d’instrumentation live appliquée au hip-hop. Une escouade de soldats occupe soudain les planches. Dans un mini-happening, des membres du Théâtre de l’Unité, une des plus anciennes et des plus engagées compagnies de théâtre de rue, dramatisent le conflit. « Les militaires sont payés toute leur vie pour donner la mort. Nous espérons travailler toute notre vie pour vous donner du rêve et du plaisir. »Après avoir essayé sans succès de faire s’accroupir le public dans la boue, la porte-parole de l’Unité obtient des 30 000 spectateurs une minute de silence.

A leur arrivée, on essaie d’expliquer la situation aux musiciens de Radiohead. Malgré leur sensibilité antilibérale, les Anglais ont du mal à comprendre un statut totalement inconnu en Grande-Bretagne. Depuis les années de lycée, ce groupe voue une totale ferveur à sa musique. Cela a été sa seule protection, jusqu’à ce qu’il accède à la gloire. La veille, à Paris, le chanteur Thom Yorke et le guitariste Jonny Greenwood s’étaient livrés à un exercice acoustique de toute beauté devant une centaine de personnes dans un petit club, le Réservoir, pour l’enregistrement d’une émission d’Arte, « Music Planet ».

Au complet devant la foule des Eurockéennes, le groupe joue a la fois de sa puissance et de cette même proximité intimiste. Ce concert, fait de stridences et de caresses opalescentes, est le premier en France depuis la sortie de Hail to the [the thief->http://www.radiohead.fr/the-thief], le sixième album studio du quintet. Sans produire ses plus belles chansons, le groupe retrouve à cette occasion un plaisir collectif qui l’avait fui ces deux dernières années. Gringalet à tête de moineau, Thom Yorke mue sur scène en leader possédé dont le chant plaintif, entre rage d’adulte et pleurs d’enfant, partage avec ses musiciens une quête perpétuelle d’audace formelle et de douleur transcendée. Sous l’impact de ce souffle et de cette émotion, les Eurockéennes basculent alors dans une autre dimension.

Stéphane Davet

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o ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 06.07.03

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