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Le New Yorke

En congé de son groupe, le chanteur de Radiohead signe un premier album solo majoritairement électronique. Pas simple d’accès, mais attirant.

Par Nick KENT
QUOTIDIEN : Mardi 11 juillet 2006 – 06:00
Thom Yorke CD : «The Eraser» (XL)

«Nous n’étions plus vraiment motivés. Quand Hail to the Thief est sorti, tout a commencé à nous sembler pénible : enregistrer, donner des concerts… On avait l’impression d’être devenus une sorte d’excroissance absurde… On se sentait mal à l’aise. Il valait mieux arrêter.» Thom Yorke explique pourquoi Radiohead n’a rien fait depuis la fin de l’année 2003.

Le groupe s’est même séparé un moment. Yorke : «On était toujours amis, mais on en avait marre d’incarner cette "chose" appelée Radiohead. Ce n’était pas du style "Oh, tout est fini, c’est affreux". Mais il nous fallait une raison valable pour continuer, c’était simplement devenu trop stressant.»

«Pure daube». A en croire le bassiste Colin Greenwood, le reste du groupe ne s’est pas alarmé outre mesure. Ses membres étaient trop occupés à regarder grandir leurs rejetons respectifs. Yorke lui-même est récemment devenu père pour la deuxième fois (d’une petite fille prénommée Agnès). Ce qui ne l’a toutefois pas tenu longtemps éloigné de son laptop. En 2004, il a commencé à enregistrer, seul, «l’équivalent de deux CD de musique que je considérais comme de la pure daube. Je l’ai fait écouter au producteur Nigel Godrich, qui m’a dit qu’il y avait quelques bonnes idées méritant d’être travaillées. Et je me suis aperçu que je pouvais chanter là-dessus». 
Publié aujourd’hui, The Eraser, le premier album solo de Thom Yorke, est radical et essentiellement électronique. La chanson-titre évoque une rencontre fortuite entre Burt Bacharach et Aphex Twin. Les récentes excursions de Robert Plant du côté de la musique malienne ont à l’évidence influencé Clocks ; tandis que le groove de Black Swan fait penser à Fela Kuti. And It Rained All Night, quant à lui, rend hommage aux Talking Heads de la période Remain in Light.

De temps à autre, un simple piano se fait entendre, et Yorke joue de la guitare électrique sur deux titres. Mais, à ces exceptions près, The Eraser est intégralement constitué de fines couches de son synthétique habilement disposées par Yorke et Godrich pour instaurer une ambiance d’effroi général ­ parfois, les beats computerisés sonnent comme du gravier qu’on jetterait sur un cercueil.

SOS. Autrement dit, The Eraser est loin d’être un disque «facile» ; il n’en demeure pas moins étrangement attirant, comme le SOS émanant d’un monde agonisant. De fait, Yorke est récemment arrivé à la conclusion que le réchauffement de la planète menait celle-ci à sa disparition prochaine. «La situation est vraiment inquiétante, et j’utilise la musique comme vecteur pour l’exprimer. Tout ce que je n’arrive pas à digérer, tout ce qui est trop choquant, se retrouve dedans. Quand je suis déprimé ­ ce qui m’arrive souvent ­ mon cerveau se branche automatiquement sur cette fréquence. Et je deviens obsédé par les scénarios les plus alarmistes.»
Ces quatorze derniers mois, Thom Yorke a retrouvé les autres membres de Radiohead pour tenter d’enregistrer avec eux. Mais deux problèmes majeurs divisent le groupe. Tout d’abord, le contrat avec EMI ayant expiré, Radiohead n’a plus de label, donc pas de délai obligé qui pourrait le stimuler. Ensuite se pose la question du producteur. Fin 2005, le groupe s’est lancé dans quelques sessions avec Mark «Spike» Stent, sans résultat probant. «Il était super, commente avec diplomatie Colin Greenwood. Mais le groupe ne fonctionnait pas bien à l’époque, et c’est vite devenu frustrant pour tout le monde.»
Pour sa part, Thom Yorke ne cache pas son désir de voir revenir Nigel Godrich, mais les autres sont moins convaincus. «Nigel et le groupe se connaissent par coeur, commente Greenwood, c’est un peu trop confortable.» Du coup, il n’existe pas encore de titre achevé. Aucune nouvelle chanson de Radiohead ne verra le jour avant 2007 (minimum), et nul ne sait même si elles apparaîtront sous la forme d’un CD traditionnel.
Thom Yorke est le premier à admettre que le groupe traverse une période difficile. «Je me dis : "Bon sang, mais qu’est ce qui cloche en nous ?" Honnêtement, je pense qu’en arrêtant on a perdu le rythme. Pour être créatif, il faut absolument le maintenir. Quand nous avons recommencé, il nous a fallu au moins six mois pour retrouver une dynamique de groupe et donc un but. Il faut dire qu’on forme une belle brochette de crétins perfectionnistes pathologiques !»

Paris en août. Radiohead effectue actuellement une tournée mondiale, démarrée en mai pour tester live ses nouvelles chansons. Quand le groupe donnera son unique concert français au festival Rock en Seine, en août, le public entendra pour la première fois Bodysnatchers, 15 Steps, 4-Minute Warning, House of Cards et d’autres titres que Yorke & co tentent toujours de coucher sur bande. En fait, il se pourrait bien que ces chansons sortent en version live.
«En public ou en studio, dans les deux cas, nous sommes à la recherche du moment où nous redeviendrons une entité, explique Yorke. Il n’y a aucune raison d’être dans un groupe si c’est pour composer uniquement avec des machines. En revanche, faire ça de son côté et apporter le résultat au groupe qui le transforme, c’est différent. Le hip-hop, c’est une question de samples. Dans l’electronica, il n’y a pas réellement de performance live. Radiohead peut se payer le luxe d’expérimenter avec les deux. Mais notre but premier est d’être ensemble tous les cinq quelque part et de faire du bruit. Voilà une bonne raison pour continuer.»
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Amatrice du groupe, surtout en concert. Travaille sur ce site depuis 10 ans.

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