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“Exigence et Humilité”

Non daté, estimé à 1994. Source non identifiée.

 

Interview de Claude Freilich. Photo Robin.
 
‘EXIGENCE & HUMILITE’
 
Ils auront écrit, avec Creep, un des singles de l’année 1993. Beau paradoxe pour ce groupe, qui accusé de s’être commis en signant très vite avec une ‘major’, nous délivre un morçeau qui prévaut l’auto-flagellation et la reconnaissance de sa propre insuffisance. Avec un album plein d’incertitude et, le succès aidant, n’était-il pas nécessaire de savoir quelles visions les membres de Radiohead avaient maintenant d’eux-mêmes et de leur propre futur?
 
Vous êtes déjà allés à Paris au printemps dernier : vous partiez pour les USA et vous sembliez l’appréhender…
Ed (Gtr) : Nous avions eu de bonnes réactions ici mais nous ne nous attendions pas à avoir autant de succès en Amérique. Creep a en fait démarré d’abord là-bas et a entraîné l’album.
Colin (bass) : C’était le contraste avec la tournée ‘Pop is Dead’, que nous avions faite en Angleterre et qui n’avait pas trop bien marché.
 
Donner ce nom Pop Is Dead est assez provocateur.
Colin : C’est vrai mais c’était également le nom d’un de nos singles au début de l’année. On parlait beaucoup à l’époque en Angleterre d’une soit-disant mort de la pop music. On a voulu mettre notre grain de sel là-dedans.
Ed : Nous avions écrit ce morceau avant que cette discussion n’apparaisse dans la presse. Disons que cette coïncidence n’est pas très appropriée.
 
Anyone Can play Guitar est un slogan presque punk…
Ed : Il n’y a aucune mystique à jouer de la guitare, vous pouvez très bien, au bout de quelques semaines, émettre un bruit raisonnable! Le pendant est que, lorsque vous vous promenez, disons à Los Angeles, vous voyez ces sosies de Bon Jovi qui adoptent une attitude avant de pouvoir jouer le rôle. Ils sont ensemble depuis seulement deux semaines et ressemblent déjà à des ‘rock’n’roll stars’. Quand Thom chante, ‘je veux ressembler à Jim Morisson‘, c’est du second degré.
 
En même temps vos textes sont très axés sur l’idée du devenir.
Ed : Nous n’avons jamais formé Radiohead pour devenir des rock stars. Cela fait déjà six ans que nous jouons, donc nous sommes lucides.
Colin : L’exemple qui nous vient à l’esprit est R.E.M. Ils n’ont jamais focalisé sur cette idée de devenir des vedettes et pourtant ils sont fabuleux.
 
Les paroles sont très introspectives, comment un groupe le vit-il?
Ed : Nous nous identifions à ce que Thom (il arrivera plus tard) peut écrire. Un jour nous faisions une émission de radio et on nous a demandé de choisir séparément nos morceaux favoris. Ils étaient tous du même acabit ; neurotiques et sombres. Sur scène, quand nous sommes émus, c’est toujours quand la musique se marrie avec les paroles. C’est beaucoup plus puissant, à ce moment là, qu’une simple chanson pop.
 
En quoi la face sombre vous stimule-t-elle?
Ed : Je crois que tout vient du fait qu’il fait accepter les conflits ; ce sont eux qui vous permettent d’avancer.
Colin : Il y a un élément conflictuel que nous ne pouvons éviter, c’est celui d’être un groupe, et d’avoir notre propre sensibilité. Il faut qu’ensemble, nous réussissions à parvenir à une chose satisfaisante. Les chansons tristes sont plus intéressantes parce qu’elles sont la résultante d’un conflit. Une chanson gaie rassure faussement parce que nous attendons implicitement le pire.
 
Pensez vous que vous essayez de projeter ce mal-être vers le public? Quand Thom dit ‘fucking’ par exemple?
Ed : Dire ‘Fucking’ n’est pas une provocation délibérée, dans Creep le mot se justifie, il vient naturellement dans une démarche.
 
Le risque d’être catalogués.
Colin : Je crois que si la presse brittanique nous a été si peu favorable, c’est justement parce que nous avions résisté à une tentative de nous coller une image et d"tablir des comparaisons ridicules telles que Suede ou Bowie!
 
Les Américains sont censés être moins subtils ; votre succès y est paradoxal.
Ed : C’est un préjugé que les Britanniques ont effectivement ; alors que nous ne sommes pas très chers à leur cœur ! IL ne faut pas patroniser les gens ainsi ; c’est très colonial. Les Américains s’expriment plus spontanément ; ils viennent à vous et ce n’est pas pour cela qu’ils sont plus "creux". Creep n’est pas une chanson idiote et si elle a eu du succès la-bas…
 
Puisque nous sommes dans l’idéal ; comment assumer ce à quoi l’on aspire et son propre aveu d’impuissance?
Thom : Oui, c’est un fantasme je présume. On place la barre très haut tout en sachant qu’on est incapables de l’atteindre. Tous mes textes tournent autour de cette aspiration élevée et du constat que l’on passe le reste de son temps à les nier, à se les nier. Trop de chansons présentent les choses d’une seule manière, comme si les antagonismes qu’elles abordent parfois étaient définitifs, figés. Pour moi, c’est l’opposé, je ne crois pas qu’il y ait un sens quelque part. La seule chose qui prend une signification est quand vous avez terminé la chanson.  Vous faîtes ainsi une déclaration, mais en même temps, vous revenez perpétuellement dessus…
 
Est-ce juste une théorie ou, plus personnellement, le doute et le manque de confiance?
Thom : La confiance bien sûr, mais aussi accepter le fait que nous ne sommes que des humains. Mon éducation a toujours été centrée sur ce leitmotiv : "Tu ne dois pas reconnaître que tu es faible!". Je passe donc le reste de ma vie à faire le contraire.
 
La lucidité?
Thom : Je ne l’ai pas toujours. C’est une chose si spasmodique. Mes chansons sont, en fait, le témoignage que vous ne pouvez pas faire grand chose face à ça. Vous savez, j’essaie sans arrêt d’écrire à la troisième personne et j’en suis incapable. Je continue ainsi, bien que ça me frustre, mais c’est la seule manière pour moi de justifier le fait que j’écrive…
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Amatrice du groupe, surtout en concert. Travaille sur ce site depuis 10 ans.

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