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Dazed and Confused (3): son corps, sa voix, son âge

Fin de la partie interview de Thom Yorke. Suit la partie Q&A…

Q : Est-ce que le fait que votre musique touche tout le monde, des ados aux pères de famille jusqu’aux banquiers et aux premiers ministres, vous ennuie ou vous enchante ?
TY : Je ne peux pas dire que j’aime l’idée qu’un banquier puisse aimer notre musique. Ou David Cameron. Je ne peux pas croire qu’il a aimé tant que ça King of Limbs. Mais en même temps, on s’en fout non ? Du moment qu’il ne l’utilise pas pour sa campagne électorale. Je m’en moque. Mais je lui foutrais un procès au cul s’il le faisait. Maintenant j’en suis plutôt au moment où une jolie jeune fille de 18 ans viendra me voir en me disant : « Hey m’sieur, vous voulez bien signer ça pour ma mère ? Elle m’a initiée à votre musique quand j’étais toute petite ! » Et je ferai : « Oh nom de D… », ça me secoue pour pas mal de raisons. J’ai deux générations maintenant.
 
Q : Vous avez écrit Harrowdown Hill à propos du suicide de l’expert en défense biologique David Kelly. Est-ce que vos nouvelles chansons ont un sens politique ?
TY : La chanson sur David Kelly était vraiment une exception. J’ai pensé que c’était tellement, terriblement, anglais, tellement nul à chier. J’étais obsédé par ça et ça finit souvent en paroles de chansons. Ecrire sur la politique, ça n’a rien de drôle. De nos jours, c’est trop glauque. Je me suis rendu au sommet de Copenhague (sur le changement climatique), et ça me foutait en l’air en permanence parce que tout était tellement nul. Obama est passé au pas de charge près de moi juste après la réunion qu’il avait eue avec la Chine, et c’était juste horrible. Pour être honnête, ça continue à me faire sortir de mes gonds. 
Q : Mais est-ce que cela n’aurait pas dû vous conduire à écrire là-dessus ?
TY : Oui, mais quand on est en présence d’un tel niveau de stupidité, vous restez ahuri, et ça sonne pas terrible. Parce que je ne veux pas être celui qui entonne le « on est tous foutus ». Parce que je ne pense pas que ce soit vrai. J’essaie de me convaincre de ne pas trop m’en faire. J’aime bien cette expression qu’on voit partout : « c’est un tel bordel que je m’en bats l’aile »
 
Q : Est-ce que vous en avez assez des gens qui disent que vous n’écrivez et chantez que des chansons sinistres ?
TY : Avant ça m’énervait et puis j’ai pensé « Bon, les gens entendent quelque chose dans ma voix et c’est à ça qu’ils réagissent, je n’y peux rien. » Vous pouvez dire la même chose de Scott Walker. Depuis peu c’est moins pénible, c’est bien plus cool. Parce je suis plus centré sur le rythme : ça danse tout au long du morceau au lieu de m’accrocher et de me mettre au centre de l’attention. Parfois j’ai pas envie d’être au centre. Parfois je veux juste me laisser porter par le rythme.
Q : Vous vous sentez toujours prisonnier de votre voix ?
TY : Complètement. Peut-être pas autant qu’avant, mais ça peut être assez frustrant. J’ai fait pas mal de trucs maintenant donc c’est moins un problème. Il y a un moment où vous devez vous dire : « ce son, c’est moi, y a pas à tortiller. » En même temps, d’un certain point de vue, avoir ce type de marque distinctive, ça donne la liberté de faire plus. C’est un peu libérateur de se dire « bon, c’est mon instrument, et c’est clairement une limite. » Mais ce qui est bien alors , c’est que vous pouvez écrire un morceau de musique très compliqué, juste mettre une ligne claire dessus et soudain tout semble simple.
 
A : Et à propos de votre image ? Etes-vous devenu plus, ou moins, sûr de vous à travers toutes ces années ?
TY : Je ne suis jamais sûr de moi, mais j’ai toujours aimé être dans la provocation ou le visuellement intéressant. Cela dépend si je me sens confortable ou pas. J’ai mis beaucoup de temps à me sortir de ce dilemme. J’ai été très inconfortable avec la vidéo de « Lotus Flower ». J’ai fait tout bien le truc, c’était un challenge, et puis ensuite ils m’ont montré les rushes le lendemain et j’ai fait « ça, ça ne sortira pas. » C’était comme si des paparazzis m’avaient pris nu ou quelque chose comme ça. J’étais baisé. Mais si c’est ça la prise de risque, alors c’est sans doute une bonne chose.
Q : Vous êtes surpris que cette vidéo ait été regardée plus de 20 millions de fois sur You Tube ?
TY : C’est le super coup. C’est ce que tout le monde veut avoir. Si c’est quelque chose sur quoi vous avez travaillé qui dépasse les attentes comme ça, alors c’est bien. Si c’est pour des stupidités que vous avez faites, ça vous démonte pour un moment.
Q : C’est quoi les stupidités ?
TY : Oh, je pourrais pas dire…(rires)
Q : Quelle vidéo préférez-vous ?
TY : « Karma Police » reste ma préférée, parce que quand je la regarde ou juste des extraits, ça me rappelle comme je me suis amusé lors du tournage. C’était super. Surtout parce que j’étais complètement parti.
Q : Dans quel sens ?
TY : Dans tous les sens (rires)
 
Q : Est-ce que vous pensez que ce sont vos vidéos et votre répugnance à parler beaucoup à la presse qui ont construit autour de vous cette mythologie ? Vous contribuez à la construction du mythe ?
TY : Non, je pense que ça correspond à ce que vous faites ensuite, pour voir si vous pouvez détourner les gens de leurs manières de penser habituelles. Y a un vieil étudiant en art en moi. Si vous faites quelque chose, vous devez au moins provoquer ou mettre le binz dans les attentes des gens,- enfin, c’est pas forcément de l’art.
 
Q : La dernière fois que vous avez fait la couverture de Dazed, vous aviez dit que vous ne reconnaissiez pas votre image dans le miroir. C’était vrai ?
TY : Oui vraiment. C’était plutôt effrayant. C’est difficile à expliquer. Cela faisait partie de ce bizarre espace mental tout à fait mort dans lequel j’étais alors. Je ne peux pas supporter de faire beaucoup de photos parce que je deviens trop conscient de cette image que je projette et je ne maîtrise pas ça. Cela fait vraiment pédant mais c’est juste ce que je sais et comment je le sais.
 
Q : Vous vous souvenez de votre vie avant d’être célèbre ?
TY : Je me rends compte douloureusement maintenant qu’il y a plus de temps dans ma vie avec que sans, ce qui est plutôt flippant. Est-ce que je me souviens d’avant ? Je pense oui. Enfin, on a signé notre contrat quand j’avais 22 ans, donc pendant les années où j’avais 20 ans, 30 ans, je travaillais. Je m’en souviens même pas. C’est plutôt bizarre.
Q : Vous pensez que vous avez bien vieilli ?
TY : Ma citation favorite de Tom Waits c’est « je souhaite vieillir sans grâce ». Et c’est ce que je fais, c’est tout à fait moi. Je pense que c’est plus facile pour moi mais je souhaite continuer à manquer de grâce, dans la limite du possible (rires)
 
Q : Pourquoi pensez-vous qu’on vous décrive toujours comme quelqu’un d’imprévisible ?
TY : Je ne suis plus aussi changeant qu’avant, ce qui est bien parce que je me serais bousillé si je l’étais toujours. Mais je peux encore être un vrai cauchemar.
 
Q : Voici une citation qui pourrait faire une bonne fin. C’est de votre ami Stanley Donwood, à propos de sa série d’œuvres « Lost Angeles » dont est issue la pochette d’AMOK : « Il n’y a pas de futur. Il n’y a que le présent…personne ne s’inquiète beaucoup du présent. » Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus aujourd’hui ?
TY : Le présent. Essayer d’être dans le présent pour éviter d’être mal. Ne pas trop penser. Laisser venir.

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